Aurélien Clauset1



Je fais parfois ce rêve

Je fais parfois ce rêve où je suis étendu

A tes côtés, dans nos draps de soie bleue,

Et ta main dans la mienne est fanée par les ans.

Tu me souris, mais sous tes grands yeux verts,

Tes joues pâles sont striées de sillons. Au loin,

La rumeur assourdie des avenues

Se mêle à notre souffle et couvre nos paroles.

Je voudrais repousser ces draps épais

Qui pèsent sur nos corps et collent à nos chairs,

Mais mes muscles flétris sont lourds et las,

Et mes poings de silex s’enfoncent dans la soie

Plus pesante à présent – et je la vois

S’effriter sous mes doigts ainsi qu’un bloc de sable,

Comme les murs de notre chambre blanche,

Qui semblent frissonner – puis devenir poreux,

Prendre le teint cireux des cendres froides,

Et se courber vers nous, lentement tout d’abord,

Se craqueler, crisser dans le silence,

Car le monde s’est tu – la ville est une tombe,

A cet instant, et la chambre un cercueil

Dont les pans de poussière engloutissent le lit

Et se ferment sur nous – et tu souris,

Tu me souris toujours, mais sous tes grands yeux verts,

Ta peau livide est marbrée par le froid

Et sur nos corps, notre linceul de cendres

Se mêle à notre souffle et couvre nos paroles.



Je n'ai pas rêvé de la mort

Je n’ai pas rêvé de la mort,
Ni de la soie, ni de la cendre,

J’ai seulement vu le silence

(Et tout le reste est mise en scène,

Tout le reste est un jeu d’images

Que ce silence évoque).

 

Je nous ai vus hors de mes mots,

C’est-à-dire orphelins, sans maison ni mémoire,

Je me suis vu aveugle, à genoux dans la nuit,

Rassembler à tâtons des souvenirs muets,

Des fragments de jours que je n’avais pas vécus

Et tout ce qui restait de notre éternité.

 

Je nous ai vus hors du langage,

Hors du passé, hors des images,

Perdus dans un présent suspendu dans le vide,

Etendus dans un lit devenu étranger –

Je me suis vu sans traits, sans visage ni mains,

Ni tout à fait vivant ni tout à fait éteint,

Au seuil de notre vie sans pouvoir y entrer.

 

Je t’ai vue sourire à la nuit,

La désirer, en quelque sorte,

Car nous continuions à vivre

Après que la beauté fut morte.

 

Et je nous ai vus fuir les années – alors que

Nous sommes des êtres de temps,

J’ai vu la poésie n’être plus qu’un abîme,

Qu’un rayon de soleil tombant sur un cadavre ;

J’ai vu comment la nuit envahit notre havre,

J’ai vu comment le sang suspend sa course folle,

J’ai vu comment les ans, j’ai vu comment la mort

Se mêle à notre souffle et couvre nos paroles.

 


J'ouvre les yeux dans les ténèbres

J’ouvre les yeux dans les ténèbres,

Et de mon rêve il ne subsiste rien

Que des fils de couleur à l’orée du regard –

Ceux qui échappent à l’iris

Et dansent des valses fantasques

Au plafond.

C’est autre chose que ton souffle

Qui emplit notre chambre blanche

Et me fait monter les larmes aux yeux,

A présent.

 


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