Françoise Urban-Menningert
loin de nous-mêmes
nous sommes partis
loin de nous-mêmes
égarés loin de notre âme qui vacille
sur cette lisière de l’être
où la nuit éteint le jour
et parle à notre mort
du ciel bleu de notre enfance
où les morts que nous portons
cueillent pour nous
des bouquets de silence
flocons de lumière
sur la table en bois de chêne
où l’âme a gravé son poème
le temps n’a pas oublié la danse
des assiettes en faïence
la louche en argent
y suspendait le temps
pour soulever dans la soupière
des flocons de lumière
qui neigent encore dans le silence
de ma page blanche
trame d’osier
dans la grange les vieux paniers
n’ont pas oublié
dans leur trame d’osier
l’odeur des fruits de l’enfance
avec leurs fragrances
sucrées suries ou rances
le raisin ou la pomme
réveillent dans ma paume
le plus profond des sommes
quant à la poire
elle est chair de mémoire
et mêle à l’haleine du soir
la quiétude d’un parfum
qui m’ouvre les confins
d’un secret jardin
haleines du soir
fragrances mêlées du sureau
et de la grappe d’acacia
haleines du soir au bord de l’eau
où les iris jaunes
se noient dans leurs reflets
des poissons de lumière
écopent le silence
dans la barque du temps
où plonge sous les mots
le filet de mes songes
lits profonds
lits profonds des amours d’antan
où ont dormi nos parents
les bois dormants
rêvent encore des amants
les corps nus
au cœur fendu
glissent sans fin dans la nuit
où l’âme éblouie
plante ses fleurs blanches
sur les branches du silence
vaisselle et nappes brodées
vaisselle et nappes brodées
dorment dans le buffet
où coule une rivière
peinte par grand-père
j’y pêche parfois mes mots
tout au fond de cette eau
qui traverse ma mémoire
quand vient le soir
la barque de mes songes
souvent y plonge
pour hisser sur ma rive
son âme qui dérive
le jardin engourdi
le jardin engourdi
se love dans la torpeur
des fleurs alanguies
étourdies de chaleur
des abeilles ont bu le ciel
renversé dans leurs coupelles
et donnent à l’air qui vibre
sa petite musique ivre
dans sa robe de lumière
mon âme croque en silence
les fruits verts de l’enfance
où éclosent mes vers
banc de lumière
assise au soleil des mots
sur mon banc de lumière
je plante mon âme
au jardin du ciel
dans chaque allée
ma mère en tablier
taille l’horizon
de ma dernière haie
les cerises du ciel
ma tête renversée
dans mes pensées
je cueille sur mon échelle
les cerises du ciel
dans son bocal de verre
le soleil verse sa lumière
je touche avec mes mots
son rire sous ma peau
quand dans la parure exquise
je croque une cerise
et que le ciel tout entier
dans mes pensées s’est posé
le temps lentement
le temps lentement s’écoule
dans les mots qui nous traversent
nos pensées ont l’éclat bleu
des rives qui nous bercent
nous retournons vers l’origine
dans cette coquille de lumière
où notre mort dans le verbe
à notre firmament s’enroule
la chambre du cœur
fermer les yeux parfois
sur cette nuit qui m’habite
avec sa maison au bord du Rhin
les rires bleus dans les vignes de grand-père
les sabots en bois clair de grand-mère
qui égrène sans fin des épis de maïs
dans ce poulailler de lumière
où les œufs luisent comme des yeux
dans la paille dorée des paniers
je joue à chat dans le grenier
où les vieux livres aux pages jaunies
sentent le papier moisi
dans la cour sur la table au soleil
une cruche en terre est posée
pleine de l’âme du jour
des tulipes rouges trinquent
dans les allées du jardin
et lapent à petites gorgées
le vin bleu du ciel
qui coule jusque dans mes veines
ma nuit m’enferme
dans la chambre du cœur
de mon enfance
où bat dans le silence
le balancier des heures
qui rythme ma langueur
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