Françoise Urban-Menningert1



les draps blancs

les draps blancs et rêches de mon enfance
ont gardé l’empreinte de mes rêves
père et mère y ont dormi

leurs initiales entrelacées
s’inscrivent dans un cœur brodé
qui bat dans le grand lit en bois

où le loup affamé court toujours
après le petit chaperon rouge
égaré dans la forêt de ma mémoire


puits d’ombre

la mort prolonge le silence
de ce puits d’ombre
où l’âme noyée
laisse parfois filtrer
des trouées de lumière

le poème tamise le ciel
sur la table des mots
où chaque signe
éclaire au fond de nous
notre part d’infini


les sabots en bois

sur le perron en pierre
les sabots en bois de ma mère
attendent au fil des jour
son incertain retour

les mauvaises herbes
telles des langues acerbes
ont envahi le jardin
où seuls les petits nains

perçoivent dans le silence
l’ombre d’une présence
qui lentement s’effeuille
sous le ciel en deuil


langue de ciel

l’ombre de la vigne en vrilles
sur les murs de la maison
écrit son poème de verdure
en langue de ciel

grand-père avec son sécateur
taille l’azur de ma rime
où chaque coupe claire
libère sa grappe de lumière

je bois dans une coupe de verre
l’âme de cette terre
où les ombres portées
pénètrent la fragrance de mes vers


la valse des mots

entre les racines du noyer
un parterre de boutons d’or
ensoleille jusqu’à la mort
qui parfois sort de sa pénombre

le ciel a jeté entre les branches
des pans entiers de satin bleu
où les anges toutes ailes déployées
gaulent les âmes dans un panier

il reste au temps sa part de silence
pour tourner dans cette danse
où les morts invitent les vivants
à entrer dans la valse des mots


les pots en argile rouge

les pots en argile rouge
alignent le regard
sous la verrière du perron
où s’éveillent les nains de jardin

des sabots cerclés
d’un arceau en fer rouillé
marchent dans cette nuit blanche
qui tombe sur mes mots

la maison soulève son chapeau de lierre
pour saluer les ombres qui l’habitent
le temps s’arrête dans le poème
où commence mon rêve d’infini


la rivière du poème

dans l’ombre les herbes
dites mauvaises
envahissent mes pensées
jusque dans cette sente
où l’âme nue affleure

des trouées de lumière
tamisent sous ma peau
la rivière du poème
où s’écoule le temps
qui m’emporte sur sa rive


dans le bleu du jour

dans les jardins de l’oubli
les cœurs de Marie
accrochent leurs pendeloques fleuries
aux fenêtres de mon enfance

les pensées découpent des clartés
dans des vasques de pierre
où des tulipes alvéolées
trinquent dans des calices dorés

des roses rouges en bouton
font des pointes sur les tombes
et donnent un ballet fantôme
aux ombres qui longent les allées

le ciel aux ailes d’aronde
accorde ses violons de lumière
pour déposer dans le bleu du jour
sa petite musique du silence


roseraie de moire

dans la coupe de lumière
de chacun de mes vers
se reflètent les yeux de ma mère

elle enracine ma mémoire
dans une roseraie de moire
qui embaume mon âme le soir

ma mort s’épépine
dans chacune de mes rimes
là où parfois la vie m’égratigne


pluie de lumière

du vieil arrosoir jaillit
une pluie de lumière
les géraniums font germer
des gouttes d’or
qui s’écrasent tels des fruits mûrs
sur les marches du perron

les feuilles de vigne taillent
une frondaison de verdure
aux murs de la maison
qui tiennent les poutres du ciel
assise dans le nuage de mes pensées
grand-mère détricote le fil de mon enfance


l’encre bleuie

le ciel se ferme sur mes yeux
danse d’oubli
au fond du puits
où je cherche ma nuit

c’est ici que j’écris
sous les paupières des cieux
dans l’encre bleuie
où perle mon ennui

quand mon âme devient pluie


la maison au bout de la nuit

la maison au bout de la nuit
a gardé sa fraîcheur d’eau tirée du puits
le buffet profond comme un tombeau
embaume chacun de mes mots

le plateau ovale en argent
reflète jusqu’à la moire des étangs
et les verres en cristal taillé
égrènent leurs pépites dorées

qui viennent déposer leur lie
dans notre part d’infini


grappes d’azur

l’odeur du raisin mûr
fait tourner l’âme du ciel
dans la transparence d’une coupelle

où grand-père sous le soleil
m’invite à remplir une corbeille
de grappes d’azur

sur sa canne il s’incline
devant une rangée de vignes
où il me fait signe


sous la peau des mots

sous la peau des mots
il ne reste que le tempo
d’un poème où les os
se disputent mon ego

la chair grignote le silence
sous la cendre blanche
où le verbe en mon absence
a perdu tout son sens

l’âme est-elle aussi poussière
d’or ou de lumière
c’est en elle que j’insère
la musique de mes vers

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